9 mai
Nuit un peu courte, donc je suis un peu somnolent ce matin. Mon logeur, déjà tout en affaire hier de recevoir un étranger, est aux petits soins dès que j’ouvre la porte de ma chambre. J’ai mis mon training et mon cache-cou et une bonne couche de répulsif insectes avant de finaliser les travaux de réassemblage de la remorque. En effet, le coin est infesté de moustiques. Mon logeur m’offre du scotch plus large que celui que j’ai, aide à transporter les sacoches, demande une dernière photo, puis m’indique qu’il va m’escorter afin que je trouve la route. Je lui dis que je veux faire un arrêt à la station-service au coin de la nationale. Il m’y emmène et comme plus tôt je lui ai posé la question de savoir où je pourrais trouver un hôtel sur ma route, voilà qu’il se met à questionner tous les clients qui passent pour finir par me revenir avec un monsieur qui m’explique que à 88 km d’ici, il y a un camping. Voilà déjà une première option, même si vu la concentration de moustiques, elle ne m’enchante guère.
Pendant mon petit déjeuner, j’observe de nouveau deux de ces camionnettes qu’on voit partout en Russie. Je m’élance sur la nationale qui longe la rivière Irtysh. On la remonte, et ce sera le cas jusqu’au Kazakhstan, à Pavlodar puis à Semey, puisqu’en fait elle prend sa source en Chine, avant de redescendre jusqu’à Omsk et plus loin se jeter dans l’Ob.
J’ai le coup de pédale un peu lascif ce matin. Après quelques kilomètres, je suis pris d’une forte émotion. Voilà donc les derniers kilomètres de « l’option russe », option qui a été tant discutée et tant débattue. La première fois qu’elle a été évoquée, c’est par Szymon Zareba, mon ex-collègue d’Etopia, lors de Vermob à Massembre en août 2024. Immédiatement rejetée. Option qui est ensuite revenue lors du vol de retour de Shanghai en novembre, lorsque j’ai vu la route que prenait l’avion. La ligne directe passe par la Russie. Option étudiée en décembre et début janvier, en tentant de prendre un maximum de contacts à l’intérieur du pays, et en profitant de l’expérience de Stéphane Maillard. Option finalement choisie. Option que j’ai dû défendre à chacune des présentations de mon projet, devant les Rotary Club, lors des dîners ou soupers, tentant de répondre avec aplomb pour justifier mon choix, que je savais pourtant reposer sur une série de personnes que je ne connaissais pas, ou de témoignages. Aujourd’hui, je sors du pays après 40 jours intenses, dont je tente de fixer l’ensemble des éléments dans la perspective de ce film que j’aimerais réaliser en rentrant. Des quatre dangers identifiés, trois sont à balayer. Aucun sentiment anti-européen, et même plutôt un enthousiasme de savoir qu’un Européen avait osé venir en Russie. Aucun problème avec des personnes alcoolisées, en voiture c’est tolérance zéro, et les quelques bitus rencontrés étaient inoffensifs. Aucun problème de vol, malgré l’extrême pauvreté rencontrée dans cette « pauvre riche Russie ». Le seul danger dont il a fallu gérer les risques, c’est bien la difficulté sur la route, l’obligation de prendre le réseau des voies rapides, face à des conducteurs qui n’ont pas l’habitude de rencontrer des vélos.
Mais au final, je l’ai fait. Mais pas tout seul. Je serai éternellement reconnaissant à Yaroslav et Svetlana à Moscou, à Gaïa et Dima à Nizhny Novgorod, à Ildus et au Rotary Club de Kazan, à Anton, Ksenia et Alexandra, et tous les autres à Ufa, à Alexei et Eldar à Omsk. Sans compter les anges gardiens rencontrés sur ma route, ceux qui ont foré, soudé le timon de la remorque ou le vélociste de Ufa qui a renforcé mon éclairage. Et tous les inconnus…
Ce moment d’émotion passé, je me dis que c’est pas tout ça, mais il reste quelques kilomètres avant la frontière et j’appuie un peu sur le champignon.Tout d’un coup, j’entends un hélicoptère. Je suppose que ce n’est pas moi qu’on vient arrêter. Jusque là, la route a été belle, calme, avec toujours les mêmes paysages, des bosquets et des petits étangs.
Après une cinquantaine de kilomètres, la frontière est là. J’y arrive à midi moins quart. Il me faudra zéro minute pour passer les deux frontières et rouler encore cinq kilomètres. En effet, alors que je vais quand même vers l’est, une fois entré au Kazakhstan, j’ai perdu une heure. Je ne suis plus qu’à « Bruxelles + 3 ». Dans les faits, le passage des deux frontières a donc pris trois quarts d’heure. Les Russes m’y ont fait attendre vingt minutes avant d’ouvrir la barrière. Avant de quitter le poste kazakh, je reçois deux informations. La route est très belle jusqu’à Pavlodar et il faut faire attention en roulant la nuit parce qu’il y a des troupeaux de chevaux sauvages. Je me lance donc sur la grande route au Kazakhstan. La Russie est définitivement derrière moi !
Commence alors le festival des cadeaux. Comme d’habitude, je suis arrêté par des voitures. Dans ce cas, deux. Un couple et puis une famille. Et à chaque fois, je reçois de l’argent. Je me retrouve donc avec 5000 tenge. Il faut diviser par 580. Mais ça fait une petite dizaine d’euros alors que je n’ai pas encore fait le moindre change. Un peu plus loin, un gros 4×4 noir arrive dans mes rétroviseurs. Il ralentit très très fort. Je me dis qu’il filme, comme d’habitude. Mais il vient se mettre à ma vitesse et à ma hauteur. Le passager ouvre la vitre. Et il me remet un ice tea pêche. En me disant good luck. Et le véhicule redémarre aussitôt. J’arrive au village où m’était annoncé le camping. Il est moins de 13 heures. J’ai presque 90 km au compteur. Comme j’ai reculé d’une heure, je me demande si je ne vais pas refaire 80 km pour arriver là où j’ai repéré un hôtel, et gagner un jour sur le planning. J’avise une station service de la marque Helios. Quoi de mieux pour faire le plein d’un vélo solaire ? Je me restaure et voilà que la valse des cadeaux recommence. Parcourant les rayons, je photographie le chocolat identique à celui que l’attaché d’ambassade du Kazakhstan à Bruxelles Rakhat Nurgaliev m’avait offert. Je ne sais si un client m’a vu faire cette photo, mais voilà que deux minutes plus tard, je reçois trois plaquettes de chocolat. Ça se passe tellement vite que je n’ai pas le temps de faire la photo. Je me suis servi un latté et au moment où je veux aller le payer, on m’indique que c’est fait. Là, mystère, je ne sais pas qui c’est. Et puis voilà qu’un jeune homme s’approche. Il me dit « Si vous avez des soucis avec le vélo, venez à mon magasin à Pavlodar ». Et il me laisse ses références sur WhatsApp.
Après avoir questionné le personnel de la station, j’apprends qu’un kilomètre plus loin, il y a un combiné café, magasin et hôtel. Je me dis que dans ces conditions, je ne vais pas changer mon programme et m’arrêter. Je le rejoins, le jeune homme de la maison me prend en charge avec le traducteur, il y a une chambre de libre et donc je peux l’occuper. J’ai déjà mangé, donc je prends juste un thé. Au moment de payer, les jeunes gens qui sont entrés un peu après moi règlent avec leur carte de banque avant que j’aie pu sortir mon portefeuille.
Une bonne douche, une bonne sieste et je peux donc prendre du repos cet après-midi dans ce pays qui m’accueille a bras ouverts !
Photos sur Polarsteps
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