Le syndrome Turc

12 juin

Je m’éveille à 7h30 et la première chose que je fais c’est vérifier la météo. Les données du jour confirment ce qui apparaissait hier. Aujourd’hui sera une journée chaude et ensoleillée sur Pavlodar. Demain sera une journée aussi chaude mais avec un ciel couvert. Je décide donc de ne pas attendre la double peine de demain et de démarrer dès aujourd’hui, sans faire de jour de repos à Pavlodar. Petit déjeuner, rangement des sacoches, je finalise et programme la newsletter et je suis en route à 9h.

J’ai aussi fait mon choix d’itinéraire. En effet, il y a du côté droit de la rivière Irtysh la M38 qui va au plus court vers Semey et par une jonction de 12 km et un pont au-dessus de la rivière, on peut rejoindre l’autre rive, la route menant elle aussi à Semey. C’est la P174. J’ai décidé de la prendre en tablant sur 3 étapes jusque Semey, autour de 125 km chacun des 3 jours. Je sais qu’aujourd’hui ce sera un peu sport parce que je n’ai identifié aucun hébergement après les kilomètres envisagés. J’ai donc mis le point final de l’étape au milieu d’un village où je compte aller sonner aux portes.

Il fait déjà plus de 30 degrés au départ. J’ai été très attentif à remplir les gourdes, remplir le camelback et mettre dans la sacoche arrière un stock stratégique de boissons. Je sais que tout cela ne restera pas frais très longtemps.

Lorsque j’avais étudié l’itinéraire sud passant sous la mer Noire, un des atouts était la traversée de la Turquie. Dans tous les festivals du film de voyage à vélo, ce pays est le coup de cœur des voyageurs tant l’accueil y est fantastique. Le problème en Turquie, c’est d’avancer. Parce qu’on vous retient pour le thé, on vous retient pour le repas, on vous retient à dormir, on vous retient même quelques jours pour rester au mariage d’une fille de la maison. La journée d’aujourd’hui va rendre évident les liens entre les Turcs et les Kazakhs. Au début de l’étape, je fais volontairement quelques arrêts pour des photos à la sortie de Pavlodar ou dans la ville d’Aksu. Mais l’étape ne sera qu’un long chapelet d’arrêts provoqués par des Kazakhs enthousiastes qui m’arrêtent sur cette route qui est de moins en moins fréquentée, dans un décor de plus en plus aride et où il n’y a pas de village aux alentours. Dès lors, ils prennent soin de moi. Je reçois de l’eau, du jus, des pommes, des tomates, des courgettes, du pain et de l’argent. À plusieurs reprises, je dois demander non pas qu’on ne me donne rien mais qu’on limite parce que j’ai déjà chargé au moins 7 kilos dans la remorque. À un moment donné, j’ai même un long coup de klaxon d’une locomotive qui passe sur la voie de chemin de fer toute proche: le conducteur fait de grands signes. Entre les arrêts, j’ai eu l’occasion de faire des photos de l’Irtysh, de panneaux publicitaires pour l’armée, d’usines dont les rejets dans l’atmosphère sont impressionnants et de ces plaques indiquant les villages, toujours multicolores. À un moment donné, dans ce décor tout plat, j’ai la surprise de voir un panneau de déclivité 12%. Sans doute que pour ceux qui sont habitués à du 0%, la moindre petite côte semble impressionnante. Mais ici, il manque visiblement une virgule entre le 1 et le 2.

Parmi ceux qui m’ont arrêté, il y avait notamment un véhicule du « Fonds des Routes » local. Voilà que je les retrouve, pas loin d’un village où je compte m’arrêter. Ils me suivent pendant plusieurs kilomètres et me protègent. Un de mes arrêts a été par un blogueur qui a fait un reportage en direct à côté du vélo en me mettant un micro sur le maillot. Il m’a annoncé qu’à Koktobe il y a bien un hôtel. Je me dis que je suis sauvé pour la nuit. À un moment donné, les agents des routes passent devant, s’arrêtent à un arrêt de bus où d’autres attendent, et je leur demande de m’indiquer où se trouve l’hôtel. On se met en route, cette fois-ci ils sont devant, et de manière surprenante, on passe devant ce qui est un motel adjacent à une station service, mais ils continuent. Et on arrive à une route où ils s’engagent. Je me dis, tiens, il y a un hôtel, un vrai, dans ce patelin. On arrive devant un bâtiment. Il y a une dame anglophone et sa fille qui m’invitent à entrer. Je prends donc mon portefeuille, mon GSM, mon passeport. Au bout d’un couloir, on rentre dans ce qui est un bureau. Je pense que c’est la réception de l’hôtel, mais pas du tout. On est au siège du « Fond des Routes ». On me présente le responsable. On m’annonce que l’hôtel est complet, et que dès lors, ce responsable m’invite chez lui à manger et à dormir. On m’invite à aller ranger mon vélo entre les camions. À ce moment-là, arrivent deux officiels. Les discussions commencent. Des coups de fil sont passés. Et on m’annonce un changement de programme. Aller prendre ma douche dans un centre sportif. Aller prendre un repas dans un café-restaurant. Et revenir loger dans ce centre sportif. Il dit qu’il faut que je prenne mon vélo. Je le sors donc de l’endroit où il se trouve. On m’indique, alors qu’il est 16h15, qu’il faut aller manger avant que ça ferme. On arrive donc au café-restaurant, où on me sert un repas. Mais je suis le seul à manger. Arrive alors un homme en costume. On me le présente. C’est un citoyen de la localité. Il s’assied. Il parle anglais. Nous conversons. Je lui indique que, comme il n’y avait théoriquement pas d’hôtel dans cette ville, j’avais résolu de sonner chez un habitant. Il m’indique alors que c’est chez lui que je vais dormir, prendre ma douche et bénéficier d’un sauna. Il s’en va vaquer à ses occupations. J’achève mon repas. Et après une série de photos, y compris avec la police locale, je suis emmené à sa maison. Il est là. Il me montre ma chambre, la douche, le frigo pour mettre ma nourriture et mes boissons. Et il m’emmène voir le sauna. Il m’indique qu’il sera prêt plus tard. En effet, deux hommes sont en train de couper du bois pour le démarrer.

Voilà encore une journée qui m’a fait mesurer l’immense générosité de la population kazakh.

Photos sur Polarsteps


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