5 mai
Merci pour vos messages d’encouragement arrivés hier. Mais au moment où mon post a été publié, très tard, tellement le réseau était mauvais, j’avais déjà eu de bonnes nouvelles pour me rasséréner. Tout d’abord, l’afflux sur la route était dû au retour de vacances. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, pour un lundi, cela devrait être beaucoup mieux. Par ailleurs, un camionneur qui m’avait dépassé en partant vers Moscou, qui est de retour et qui me retrouve par hasard à la station, m’indique que dans une trentaine de kilomètres, la route va devenir une quatre voies. Tout à fait safe pour moi.
Ces bonnes nouvelles me permettent de bien dormir. Et le matin, je quitte mes nouveaux amis de la station, dont l’agent de piste, qui appelle l’hôtel que je souhaite rejoindre le soir pour réserver la chambre. J’apprends que lui fait 8h-20h tous les jours, la responsable du shop 8h-21h tous les jours, la caissière et la responsable du motel 8h-8H en shift de 24h, un jour sur 2… Je démarre un peu plus tard que d’habitude et je me rends compte qu’effectivement, la M9 a moins du tiers du trafic d’hier et que c’est beaucoup mieux ainsi.
Je suis parti de 500 mètres lorsque mon bidon se fait la malle. Je suis sur un pont, il roule, il roule et heureusement, il y a un parapet, sans quoi il serait tombé dans la rivière. Je le ramasse, je resserre le porte-bidons et c’est reparti.
Je roule depuis 7,5 km lorsque j’entends un grand crac derrière moi. Un coup d’œil dans mon rétro et je vois que la remorque est 50 mètres derrière au milieu de la route et que le timon traîne par terre. Je mets vite le vélo en sécurité sur la droite, je sors au milieu de la route et je fais des grands signes à la voiture qui arrive au loin, qui me voit, qui met les quatre clignotants et s’avance doucement. A première vue, pas trop de dégâts sur la remorque, le panneau est soulevé à l’avant, mais c’est normal, les roues sont en place, la structure a l’air bonne. Je ne prends pas trop le temps de réfléchir, je la mets sur ses roues et je la mets en sécurité sur le côté en saluant la voiture qui s’est arrêtée. Je comprends d’où vient le problème, une des soudures faites à Bruxelles a cassé et il manque une sécurité mécanique via un boulon et un écrou, que j’ai oublié de remettre après soudure.
A ce moment, la pluie commence, elle qui n’était annoncée que pour l’après-midi. J’avise un abribus un peu plus bas et je me décide d’aller conduire la remorque puis le vélo. L’objectif maintenant est de faire du truck stop pour aller vers une ville. Il y a un espace derrière la balustrade qui me met en sécurité et alors que je suis en train de pousser la remorque, voilà qu’un véhicule, style véhicule d’intervention des autoroutes, qui m’avait dépassé, qui a fait demi-tour, revient dans l’autre sens, refait demi-tour et vient se stationner à côté de moi. Il y a six hommes dedans et puis derrière le fourgon, il y a une remorque grillagée dans laquelle on met très facilement le vélo et ma remorque à moi. Je baragouine en montrant que ce serait bien qu’il me charge, mais je suis derrière la balustrade. Dès lors, il m’indique d’avancer jusque l’abribus, ce que je fais en quatrième vitesse. Puis au moment où je reviens vers mon point de départ, je constate qu’ils ont fait un nouveau demi-tour, qu’ils ont éteint les feux de sécurité et voilà qu’ils se taillent. Je me dis que pareille occasion ne se reproduira pas ou en tout cas pas de si tôt. J’entreprends donc de descendre le vélo jusque l’abribus et je sors mon panneau pour truck stop. Heureusement, la pluie se calme un peu. Je laisse passer les voitures qui ne m’intéressent pas, ni les gros camions dont le chargement est plombé, qui ne m’intéressent pas non plus, pour ne m’intéresser qu’aux camionnettes.
A tout hasard, je fais quand même signe à un camion plateau sur lequel il y a une voiture. Peut-être qu’il y a un peu de place derrière. Voilà que le véhicule s’arrête, se met en marche arrière et se met à mes côtés. Le conducteur descend. Je lui explique le problème. Ses deux acolytes descendent également. Ils palabrent entre eux. Il m’est proposé de charger la remorque derrière la voiture et que moi je continue à vélo jusqu’à un point de rendez-vous qui serait fixé. Puis le gars se ravise et demande au plus jeune des trois de monter sur le plateau, d’ouvrir la voiture et d’aller dans le coffre. En ouvrant le coffre, un pot de cornichons s’écrase sur le plateau, mais ça c’est un détail. Dans le coffre, il y a des outils dont une Makita, une foreuse sur batterie. Pendant ce temps, le conducteur fouille dans le vide-poche de la camionnette et en sort un boulon et des écrous. En deux temps, trois mouvements, voilà un trou percé et le boulon et les écrous placés. La remorque est de nouveau en état d’être tractée par le vélo. Je remercie chaleureusement mes ange-gardiens qui, voyant que je mets la main à la poche, refusent que je leur donne quoi que ce soit. On fait quelques photos et ils s’en vont.
Ce n’est pas tout d’avoir réglé le problème mécanique. Il faut aussi voir les dégâts qu’il y a au niveau électrique. Heureusement, comme les câbles sont censés être amovibles, ils ne sont retenus de manière fixe nulle part. Miracle, rien ne s’est déchiré. Simplement, à chaque extrémité, les prises se sont déconnectées. Je commence par rebrancher le panneau solaire qui n’a pas souffert de l’embardée et je constate, après test, qu’il continue à charger les batteries sans souci. Je rebranche alors l’électricité des phares et là je constate que les feux arrière et le pourtour ne fonctionnent plus, mais que tous les clignotants fonctionnent. Je trouverai plus tard qu’il s’agit juste de deux fils qui se sont légèrement sortis de leur emplacement qu’il suffira de remettre dans leur logement plus tard.
Moins d’une heure s’est passée entre le problème et la solution. J’en suis tout étourdi. Il y a donc eu un triple miracle. Un, le décrochement de la remorque n’a provoqué aucun accident; deux, la remorque était réparable assez facilement, et trois, des gens disposant des outils et du matériel nécessaires sont passés à ce moment-là et se sont arrêtés. Ce devait être mon jour de chance.
Un peu plus loin je découvre la 4 voies qui me donne un confort de conduite absolument magnifique d’autant que plus loin c’est même la préparation d’une troisième voie de chaque côté qui est en cours qui me donne, pour moi tout seul, une bande plus large que les deux bandes officielles. Ça avance vite, avec une succession de lieux de mémoire de 41-45 et je ne fais mon premier arrêt « non provoqué » qu’au kilomètre 57, c’est-à-dire à mi-étape, dans une station service. En mangeant mon hot-dog, je me rends compte que le vent qui vient du sud-ouest amène un gros nuage plutôt noir qui me paraît dépressif et à la limite de commencer à pleurer. J’écourte donc ma pause, mets quelques watts supplémentaires et me lance pour rattraper les nuages blancs inoffensifs et les trouées de soleil qui maintiennent pratiquement la batterie pleine.
Je continue bon train et je suis dans le timing d’être arrivé pour 16h à l’hôtel choisi au kilomètre 114. C’est sans compter un grand contrôle de police. Tous les véhicules dans les deux sens sont priés de descendre à 30 à l’heure et certains d’entre eux sont priés de s’arrêter: je suis bien évidemment dans le cas. Vous venez d’où ? Vous allez où ? Les policiers commencent par m’indiquer que plus loin, la route est interdite au vélo. Ensuite, ils corrigent le point de vue en disant qu’un tronçon entre la ville qui suit où j’ai mon hébergement et la ville suivante, une trentaine de kilomètres, est de nouveau a une seule voie et sera très dangereuse et me conseillent de faire un transfert en van. Après de longues discussions, des appels aux supérieurs hiérarchiques, on m’annonce que je vais avoir une escorte jusqu’à mon hôtel 8 kilomètres plus loin. Je ne vois pas trop l’utilité tant la 4 bandes est confortable mais je n’ai pas le pouvoir de décision. On me donne un petit ruban des commémorations de 1945 qu’ils portent tous à la boutonnière et que je suis invité à installer sur un des rétroviseurs du vélo. On m’annonce que finalement mon escorte n’arrivera pas. Je démarre donc pour me rendre compte qu’au final, il y a bien une camionnette qui se trouve derrière moi à cheval sur la bande de droite et la bande d’arrêt d’urgence, où je suis, avec derrière elle des feux qui indiquent aux voitures de dégager sur la bande de gauche. Elle m’accompagne jusqu’à la bourgade où j’ai mon hôtel. Une bourgade plus importante avec des commerces, des rues et des propriétés proprettes. Visiblement un meilleur niveau de vie qu’à la ville rencontrée hier. Je me présente à l’hôtel suffisamment tôt que pour repartir un kilomètre et demi plus loin à la banque pour changer des euros en roubles, les 200 euros des Moldaves étant maintenant quasi épuisés.
En rentrant, Andrey, un Russe m’a laissé une page entière de smiley « sourire », et en a collé sur les montants de la remorque que j’avais laissée sur place. Avant de publier sur Instagram. La journée a commencé par une remorque qui pleure, elle se termine par une remorque qui rit…
Il me reste 150 kilomètres pour Moscou que je pense découper en deux. 50 kilomètres demain pour rejoindre la ville suivante par les chemins de traverse et me rendre chez un soudeur, j’en ai repéré 5 sur la carte. Et puis 100 kilomètres le dernier jour pour arriver à Moscou. Soit de nouveau par la M9 avec 4 bandes, soit par une voie parallèle qui m’est conseillée par Komoot.
Cette journée du 5 mai, journée des 3 miracles, restera marquée à jamais dans les souvenirs. L’aventure peut s’arrêter du jour au lendemain, dans ce cas-ci, elle continue.
Je voulais boire un verre pour fêter cela: la seule chose qu’il y a c’est… une Hoegaarden Cherry… Même si je ne bois pas de bière, cela fera l’affaire !
Photos sur Bike2Shanghai by Claude BROUIR | Polarsteps
Commentaires
2 réponses à “Les trois miracles du 5 mai”
Salut Claude,
Après 2 semaines te voilà déjà presque à Moscou. Content de voir que tu tiens ton timing malgré les petits imprévus. Tu en as encore pour un petit bout de temps en Russie, profites-en pour apprendre quelques mots de russe, ça pourrait être utile.
Bon courage pour la suite.
André
Belles rencontres avec des gens prêts à t’aider généreusement ! Quelle belle aventure ! Et ta bonne étoile qui te suit et te protège 😊